vendredi 28 septembre 2007

Petit lexique du "parler caillera" LE MONDE | 28.09.07

Savoir parler "cash" comme Fadela Amara, la secrétaire d'Etat à la ville. Ne pas être déstabilisé par un "portenawaque", résister à un gentil "coup de pression", ne pas pleurer parce qu'on vous traite de "bouffon". Dix jeunes d'un quartier d'Evry, soutenus par l'association Permis de vivre la ville, ont rédigé un Lexik des cités (Fleuve Noir, 19,90 euros, 365 p., disponible le 4 octobre) qui décortique les tripatouillages de la langue dans les cités populaires.
Du verlan "classique" (meuf, keuf, etc.) aux emprunts au vieil argot français, à l'arabe ou au tzigane, ils ont recensé et analysé, pendant trois ans, les expressions du "parler caillera (racaille)". Leur travail rejoint celui commencé dès 2000 par Abdelkarim Tengour, un informaticien de 39 ans, passionné par l'écriture, qui a constitué, sur Internet (dictionnairedelazone.fr), une base de données gratuite, de plus de 1 500 mots.
De ces recherches parallèles, il ressort un lexique passionnant. Et utile tant la langue des cités déborde les halls d'immeuble des zones dites "sensibles" et irrigue les cours de récréation, les blogs et les radios de jeunes. Voici, en une vingtaine de termes enrichis par des exemples, l'essentiel du vocabulaire pour ne pas passer pour un "cave" (vieil argot français repris dans les cités pour désigner une personne dupe).

Alcatraz. En référence à la prison, "être Alcatraz" signifie être privé de sortie par ses parents.
Bédave. Fumer un joint.
Bicrave. Vendre, dealer. Le rappeur Booba reprend ces deux termes : "Nique nique sa mère/J'suis au quartier bah ouais rien à faire gros/Ça bicrave, ça bédave, ça galère" (Autopsie vol. 2). La plupart des mots avec une terminaison en "-ave" sont d'origine tzigane. Comme marave (se battre) ou chourave (voler), par exemple. "Je me suis fait griller en flag pendant que je chouravais des carcasses à Rungis", glisse un des héros de Chiens de la casse, le roman de Mouss Benia (Hachette Littératures).
Boîte de six. Désigne un fourgon policier avec six hommes à bord. Dans certains cas, on parle de "nuggets" pour désigner des "poulets rangés en boîte". Le vocabulaire pour les policiers est parmi les plus riches, dont le plus connu est "keufs" : "Il s'est fait pécho par les keufs et est parti en GAV (garde à vue)."
Bolos. Un terme relativement récent pour désigner une victime (proche de "bouffon"). "Au moment où on a choisi les mots, bolos n'était pas encore apparu. Mais on l'a vu se développer très rapidement", explique Cédric Nagau, un des auteurs du Lexik. Les termes peuvent ainsi émerger dans un quartier, passer du 9-3 au 9-1 puis disparaître subitement. "C'est le téléphone arabe - puis sénégalais, marocain, français...", rigole Cédric Nagau.
Bouillave. Faire l'amour.
Carotte. De "carotter" quelque chose, signifie se faire arnaquer. Mais le verbe n'est pas conjugué (sauf à être ridicule) : "Il s'est fait carotte son sac."
Cash. Directement, franchement
Coup de pression. "Mettre un CP" signifie intimider quelqu'un.
Crevard. Désigne une personne toujours en train de réclamer quelque chose.
Daron, daronne. Devenus des classiques pour désigner le père et la mère. Ce terme correspond à du vieil argot français désignant les maîtres.
Hagra. Repris de l'arabe, signifie faire des misères. "Quand tu commence a t'en sortir y'a tjrs les rageux (jaloux) qui vienne te faire la hagra", s'indigne ainsi Zenen sur le site lehiphop.com. Se prononce en aspirant le "h" et en roulant le "r".
Keuss. Verlan de sac. Représentait à l'origine 1 000 anciens francs avant que l'euro ne bouscule les conversions. Par extension, une cité comme les "3 000" à Aulnay-sous-Bois se présente comme les "3-keuss".
Meskine. Désigne un pauvre type. Ce terme, très courant, est d'origine arabe.
Mytho. Un menteur ou un mensonge. "Kader il a clamsé pour quoi ? Juste parce qu'un keum (mec) qui se prenait pour l'inspecteur Harry l'a fumé sans le faire exprès. C'est ce qu'ils ont dit les mecs de la BAC. Et puis ils ont aussi parlé d'un "incident regrettable". Ça éponge pas les larmes de la mère ces mitos-là", assène le héros de Cités à comparaître, le roman de Karim Amellal (Stock).
Poucave. Une balance, un informateur. "Alors t'as chaud, c'est cramé/Tout le monde sait que t'as balancé/T'oses même plus te balader dans le quartier, t'es grillé, fiché, poucave", chante Mafia K1fry (La Cerise sur le ghetto).
Rebeu, Renoi, Babtou. Verlan pour arabe, noir, blanc (toubab). Les couleurs de la peau ne constituent pas des tabous dans les quartiers où les "personnes issues de l'immigration", comme disent les sociologues prudents, sont nombreuses. "Il n'y a pas de politiquement correct comme dans le reste de la société", souligne Marcela Pérez, à l'origine du Lexik.
Se taper des barres. Rigoler.
Vénere. Verlan d'énerver. Un classique construit comme des dizaines d'autres ("meuf" pour femme, "portenawaque" pour n'importe quoi, etc.). L'invention du verlan s'effectue par inversion des syllabes (métathèse syllabique, en langage châtié) puis en cherchant une sonorité agréable. "On essaye de prendre les mots à l'envers. Mais si la sonorité ne passe pas bien, on la modifie", détaille Alhassane Sarré, un des auteurs du Lexik.

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